INTRODUCTION
A l'heure de la musique enregistrée et de sa diffusion dématérialisée, on voit se développer une relation nouvelle à l'écoute et à l'expérience musicales. Alors que radio et télévision continuent de diffuser des sons formatés, sans défi ni audace, avec une visibilité relativement marginale des musiques « classiques », « savantes » ou « avant-gardistes », c'est finalement en ligne, à travers sites de streaming, EP à télécharger et autres clips vidéo, que se déploie tout le panel des répertoires les plus divers. C'est là l'opportunité d'élargir ses horizon sonores, de lancer des défis à ses oreilles. Nombreux sont les pratiquants et amateurs de musique qui se cloisonnent dans un répertoire de prédilection et refusent de s'en départir. Mais la situation actuelle est telle que cette disposition d'esprit semble obsolète. L'opportunité nous est donnée de vibrer au son d'un motet, de s'émouvoir à l'écoute d'un lied, de danser sur un ragtime avant de partir pour un voyage fantastique au son d'une symphonie. L'amateur de rock peut aussi s'attendrir sur une sonate pour piano et le plus délicat des amateurs d'opéra s'exalter pour un rap hardcore. Dans ce contexte, les conflits stylistiques, comme ont pu éclater entre les mods et les rockers dans les années 60, paraissent également absurdes. Or, en 2014, dans l'album-concept Ziltoid 2, le musicien de metal Devin Townsend dépeint une population d'extra-terrestres venus anéantir le Terre, contre lesquels la seule arme efficace est le son des comédies musicales. Avec humour, l'auteur-compositeur détourne l'acte final de Mars attacks! : il associe l'esthétique metal à ses aliens sanguinaires et y oppose ce qui semble être le répertoire le plus diamétralement opposé, le théâtre musical. Mais est-ce à dire que metal et musicals soient irréconciliables ? On peine à le croire à l'écoute du reste de la partition de Ziltoid 2, qui mobilise habilement de nombreux codes de comédie musicale avec un son résolument metal. Mais la question reste ouverte : metal et comédie musicale pourraient-ils être deux extrémités d'un territoire musical commun ?
En effet, métal et comédie musicale semblent partager un esprit de communauté, un désir de spectacle, d'expression de soi, de communion avec la musique, qui se fait notamment par le recours à une dramaturgie de la composition, en résonance avec le texte, sur des sujets profonds et graves. Pour explorer ce qui rapproche ou éloigne nos deux répertoires d'étude, nous nous attacherons à en étudier l'engagement stylistique, à travers les choix d'orchestration, d'articulation des phrases musicales et les couleurs qui en résultent. Puis nous nous pencherons sur ces musiques entant que dispositifs dramaturgiques, tant visuels que sonores, propres à stimuler l'imagination et créer des événements à même la musique. Notre parcours s'achèvera avec la mise en regard des implications lyriques des deux côtés, leur ancrage dans le quotidien, leur expressivité et l'impact sur le public.