CONCLUSION
La comédie musicale ne fait pas systématiquement appel à la saturation. Le metal met rarement en scène des duos romantiques. Les musicals n’engagent pas leur public à faire des walls of death. Les concerts de metal font peu appel à des orchestres symphoniques. Mais les musicals ont l’ambition d’impressionner, leur public, leur en mettre plein la vue. Et le metal s’autorise parfois des légèretés qui tranchent avec son habituelle gravité. On voit souvent des monstres dans les spectacles de Broadway. Et il n’est pas rare de voir des metalleux s’émouvoir en assistant aux shows de leurs groupes favoris.
Ziltoid² a plaisanté sur l’opposition apparemment diamétrale des deux esthétiques. Mais notre voyage, à travers le velours des théâtres et le cuir des festivals, nous montre bien qu’elles ont énormément en commun : toutes deux sont héritières d’une culture populaire, loin des divertissements d’élite que peuvent constituer, bien malgré eux, l’opéra et le jazz. Metal et musicals se veulent accessibles, sur le plan culturel, esthétique, musical et poétique. Néanmoins, chacun a développé une forme d’exigence et des spécificités qui en font des niches, propices à l’apparition d’une expertise. Car ce sont des genres riches, des cultures à part entière, mais aussi des modes de vie, des communautés, où la réflexion, l’exploration et l’érudition font partie de l’expérience. On est donc face à deux genres hautement populaires, qui assument néanmoins une certaine discipline. Il y a nécessité, de la part des artistes comme des auditeurs, de s’impliquer vivement dans ces répertoires. Mais ce n’est pas qu’une expérience intellectuelle. L’ambition d’un Jesus Christ Superstar ou d’un concert de Metallica n’est pas à confondre avec de la pédanterie. Tout y est dévolu à porter au mieux les émotions et sentiments dépeints, et emporter le spectateur avec soi. C’est un véritable partage qui se joue : la musique et la scène ne manifestent pas un privilège à tendance conservatrice. Bien au contraire, ce sont des répertoires vivants, dont les complexités sont contrastées, généreuses, et toujours orientées vers une expression d’une humaine intimité. La scène, l’album, l’EP, sont des vecteurs de cette disposition particulière, où l’on s’autorise à être vulnérable, sans orgueil, et ouvert sur le plan sensoriel. Ces musiques agissent comme des incantations, des cérémonies magiques qui ouvrent au monde des sensations, des paysages sensoriels, des rêveries, des transes esthétiques. On y accède par le chemin de la poésie, celle des mots et celle des notes, celle du corps qui performe ou qui écoute, qui vibre par sympathie ou se remémore ses extases. Car ce à quoi nous engagent metal et comédie musicale, c’est à une écoute active, qui dépasse le temps de la musique, qui va chercher la poésie à même le quotidien. Ce sont des catharsis qui réenchantent le monde, qui vont chercher les plus précieuses de nos qualités sensibles et transcendent, sans concession, les affres et les merveilles de notre humanité.
On peut dire, au terme de ce voyage, que les deux genres ont clairement des engagements communs. Des ponts esthétiques évidents se font jour entre eux. Mais c’est principalement sur leur capacité à colorer la vie de leurs spectateurs que ces deux genres sont de proches cousins. Pour les metaheads comme pour les theater kids, la musique et le spectacle font partie d’eux et leur sont indissociables, pour la vie.